1995 - Fourbi
(Sources : Swiss Films – Droits réservés Alain Tanner © Filmograph (Suisse) – Noé Films (France))
Synopsis
Fiction – Rosemonde a vendu à une télévision privée, qui achète les droits de faits-divers criminels pour en faire des tranches de vie réalistes, l’histoire de sa vie marquée par un incident dramatique : huit ans plus tôt, elle a tué en légitime défense un homme qui tentait de la violer et a bénéficié d’un non-lieu. Sponsorisé par un magnat américain de l’alimentation canine, le réalisateur de la future émission, Kevin, charge un jeune écrivain, Paul, d’en rédiger le scénario en recueillant le témoignage de Rosemonde. Mais celle-ci est fort réticente à faire des confidences sur un drame dont « elle ne veut plus entendre parler » et sur sa vie qu’elle trouve « nulle », même si elle a signé un contrat et touché une avance, d’autant que son petit ami, Pierrot, qui se livre au convoyage de voitures volées vers l’Allemagne, est résolument opposé au projet. Comme l’affaire traîne en longueur, Kevin et Paul ont l’idée de faire « tirer les vers du nez » de Rosemonde par Marie, une jeune comédienne à qui ils promettent le rôle principal du film si elle réussit à la faire parler. Mais les deux jeunes femmes, devenues amies, se trouvent bientôt d’accord pour refuser que la vie de Rosemonde soit livrée en pâture au public. Le sponsor se montrant décidé à faire intervenir la justice pour récupérer son avance, Paul charge un jeune garçon féru d’électronique de pirater sa comptabilité pour le faire chanter. Le stratagème réussit et Rosemonde, soulagée, annonce à Marie qu’elle est enceinte et décidée à « le garder ».
(Sources : La Cinémathèque française – Copyright, 1995 CMC / Les Fiches du Cinéma)
Affiche du Film
Affiche du Film
(Source et Droits réservés Alain Tanner © Filmograph (Suisse) – Noé Films (France))
Photos du Film
Photos du Film
(Sources : Internet – Droits réservés Alain Tanner © Filmograph (Suisse) – Noé Films (France))
(Sources : Internet – Droits réservés Alain Tanner © Filmograph (Suisse) – Noé Films (France))
(Sources : Swiss Films – Droits réservés Alain Tanner © Filmograph (Suisse) – Noé Films (France))
Photos du tournage
Photos du tournage
(Sources : Collection Cinémathèque suisse – Droits réservés Alain Tanner © Filmograph (Suisse) – Noé Films (France))
Vidéo
Analyse
Analyse de Frédéric Bas
Le « Fourbi » du titre n’est pas seulement le nom du chien de Rosemonde, un bâtard bien sûr (on voit mal un chien de race chez Tanner !), celui qui a droit au plan final du film, quand les personnages longeant le Rhône doivent suivre l’avancée un peu tyrannique de l’animal qui tire la laisse. Reprise d’un magnifique titre de Michel Leiris, « Fourbi » est plus fondamentalement le nom d’un double désordre, celui qui affecte l’intime du personnage principal, mais surtout le désordre qui touche à la condition de l’homme moderne : la douce folie de Rosemonde est saisie dans le fourbi du monde. Vingt ans après « La Salamandre », Alain Tanner, qui entame ici une collaboration fructueuse avec le romancier Bernard Comment, fait le portrait d’une jeune femme libre d’aujourd’hui. On retrouve bien des points communs entre les deux héroïnes. Comme son aînée (Bulle Ogier), la Rosemonde de 1995 (Karin Viard dans son premier rôle marquant) est farouche, irréductible aux contraintes de la société et vit chichement dans un appartement en désordre. C’est d’ailleurs pour l’argent qu’elle accepte une proposition de la télévision de scénariser un fait divers auquel elle a été mêlée, et c’est le deuxième point commun avec l’héroïne de « La Salamandre » : un écrivain doit enquêter sur Rosemonde, l’interroger pour connaître son histoire et écrire un scénario. Trois logiques se superposent dans le scénario de Tanner et de Comment : logique marchande des producteurs de télé qui veulent mettre la réalité en boîte comme la pâtée pour chien (le futur téléfilm est sponsorisé par Doggy Bag), logique de l’écrivain qui s’interroge sur le sens de la vie dans un monde où la pensée est court-circuitée par la communication et, enfin, logique de la sensation incarnée par Rosemonde, personnage enfant, inculte, joyeuse, boudeuse et lunatique. Dans un premier temps, chaque logique est exposée indépendamment des autres, comme les maillons d’une grande chaîne anonyme : un marchand de pâtée délègue à un jeune loup de la télé qui délègue à un ami écrivain qui vient parler à une fille qu’il ne connaît pas d’une histoire qu’il ne connaît pas non plus. À partir de cette exposition, tout le film s’emploie à défaire la fausse illusion d’un système qui communique, à mettre le fourbi dans ce beau monde capitaliste. On retrouve là l’utopie fondamentale du cinéma de Tanner, bien exprimée par l’écrivain au début du film : tandis qu’il mange des spaghettis et que le patron du café lui reproche d’écrire « des conneries », il dit : « Écoute ça, le seul sens que tu peux trouver à la vie, c’est qu’elle est la vie. » Aux assignations sociales, professionnelles, économiques invoquées par le système, Rosemonde, puis tous ceux qu’elle embarque avec elle (l’écrivain et sa fiancée comédienne, son fiancé à elle, le bébé qu’elle porte, c’est-à-dire toute la ribambelle joyeuse qui conclut le film) opposent le simple droit d’exister, en marchant, en jouant, en baisant ; juste pour montrer que la vie « est la vie ».
(Alain Tanner – « Ciné-Mélanges » Editions du Seuil – www.seuil.com – 2007)
Critique
Les critiques
La presse suisse et française consultée relève un « net regain de vitalité de la part de Tanner », qui propose un film alliant drôlerie, légèreté, ironie et jubilation.
(Sources : Ingrid Telley – « Histoire du cinéma suisse de 1962 à 2000 » sous la direction d’Hervé Dumont et de Maria Tortajada – Editions Cinémathèque suisse et Gilles Attinger – 2007)
Contexte
Contexte historique
La genèse de « Fourbi », réalisé après « Les hommes du port » (1995), remonte à une interrogation d’Alain Tanner : qu’aurait été « La Salamandre » (1971), tourné près d’un quart de siècle plus tard ? Il ne s’agit pas d’un remake mais, précise le scénariste Bernard Comment, les deux films reposent « sur un certain nombre d’idées, toutes articulées autour d’un constat sur le monde télévisuel, sa volonté d’aller regarder partout, de tout récupérer, mais en même temps sa violence de comportement et son incapacité à produire de la fiction ». « Fourbi » est aussi une fable sur l’époque contemporaine dans laquelle, explique Tanner, « règnent désordre et désarroi. Il n’y a plus de références, plus de repères. Le grand mensonge de la pensée unique nous fait croire qu’il n’y a qu’une seule façon de penser le monde, et qu’elle est économique et purement libérale. » « « Fourbi », c’est le « bordel », le « désordre ». C’est cette fin de siècle. » Dans ce contexte, les personnages « commencent par mettre un doigt dans l’engrenage, soit par naïveté, soit par ignorance, soit encore par stricte nécessité économique, parce qu’il faut bien manger ». Ils s’en sortent pourtant, accédant à une forme de lucidité « grâce à l’amitié, à la découverte de l’autre », ce que symbolisent deux images, « celle du début [du film], dans laquelle Rosemonde descend le cours du Rhône toute seule, et le dernier plan, où les héros le remontent, ensemble, à contre-courant. » Tournant avec un budget restreint (le coût de production du film est de 1’500’000 fr.), Tanner sait qu’il doit adapter son propos à ses moyens mais, ajoute-t-il, « ce n’est pas aussi restrictif qu’on peut le penser. Mon désir étant de parler du présent au quotidien, et non de faire des films en costumes ou de science-fiction, je me sens parfaitement à l’aise dans ce cadre artisanal pour autant, sans doute, que s’y ajoute une certaine expérience de l’aspect technique et de la production. Le monde du cinéma est aujourd’hui construit en paliers, et si l’on franchit un certain palier, on se retrouve dans le système, avec toutes ses contraintes, et moi je n’ai pas le désir de travailler là-dedans. » Tourné en quarante-deux jours, au cours de l’été 1995, « Fourbi » est achevé en décembre et sort en première en février 1996, dans plusieurs villes romandes simultanément. Il est ensuite distribué en Suisse alémanique et en Europe, dont la France, le Benelux, l’Espagne, le Portugal et la Suède. Au cours de l’année, il est présenté au Festival del film Locarno et dans plusieurs manifestations étrangères, dont Cannes. En 1996, Tanner obtient du DFI une prime à la qualité (30’000 fr.). Les entrées du film lui permettent de bénéficier d’une bonification Succès Cinéma (248’652 fr.), répartie entre distributeur, exploitants, producteurs et réalisateur.
(Sources : Ingrid Telley – « Histoire du cinéma suisse de 1962 à 2000 » sous la direction d’Hervé Dumont et de Maria Tortajada – Editions Cinémathèque suisse et Gilles Attinger – 2007)
Par Alain Tanner
Par Alain Tanner
B. Comment — Au départ de Fourbi, il y a eu l’interrogation de savoir ce que serait La Salamandre aujourd’hui, vingt-cinq ans après. Pourquoi ce retour, et pourquoi ce film-là ?
A. Tanner — Il ne s’agit pas d’un remake. L’idée est plutôt de prendre le même point de départ, tout en s’adaptant aux nouvelles données historiques. Une grande part de ma réflexion sur mon travail tourne forcément autour des média audio-visuels. On peut dire que dans ce domaine les choses ont à la fois changé et pas changé. Ce qui demeure, c’est un désir — pourquoi pas ? — de raconter l’histoire de gens sans histoire. Mais autrefois, on avait du respect pour les personnages qu’on voulait présenter, alors qu’aujourd’hui on se sert d’eux, sans retenue, à la recherche des aspects les plus sordides.
Cela dit, pour avoir une vision plus large, je dirais que mes films ont toujours répondu à un mouvement de balancier entre ceux qui ont pour origine le discours ou les idées, et ceux qui partent plutôt de la matière, des sentiments, des comportements, des lieux. J’ai pensé que le marasme actuel appelait un renversement du sablier : comme je n’avais pas, depuis longtemps, fait du « discours », il était temps d’y revenir. […]
B. Comment — J’ai eu l’impression de me trouver en terrain de connaissance, avec cette idée d’un texte en fragments. Et le film, tel que tu l’as réalisé, me semble une ouvre réellement fragmentaire, très nouvelle. Cela tient je pense à un répondant proprement filmique par rapport à l’écriture du “scénario “. En fin de compte, c’est un film radicalement non-psychologique.
A. Tanner — Tous les matins, pendant une heure, seul, avant l’arrivée de l’équipe, je m’asseyais dans le décor et je mettais en place les plans de la journée. Le cinéma n’est pas pour moi l’art de l’histoire racontée en images, mais c’est l’art du plan. Pas dans un sens esthétique. Il s’agit de se dire : « dans chaque plan, il y a tout l’enjeu du film ». Ce qui signifie aussi que chaque plan se détermine par celui qui vient avant et celui qui vient après. Cette relation entre les plans est plus poétique ou dialectique que narrative. Privé des tensions habituelles du récit, de la dramatisation, il faut trouver la tension ailleurs. Une tension qui, pour moi, existe dans ce rapport d’images. On le vérifie d’ailleurs au montage, quand des changements s’imposent par rapport au scénario : plus de la moitié des scènes ont changé de place dans la mosaïque. Il arrive un moment où c’est l’image elle-même qui dicte sa loi.
B. Comment — Un des aspects les plus frappants dans la façon que tu as eur de tourner Fourbi, c’est le mouvement presque incessant que tu donnes à la caméra.
A. Tanner — J’ai voulu créer ainsi ce que j’appellerais « la distance juste du spectateur par rapport au personnage ». Il s’agit d’un vieux procédé un peu brechtien, et à l’écran — au contraire de tout ce qu’on apprend dans les écoles de cinéma — il faut qu’on sente la caméra, c’est un jeu très subtil entre le fait, pour le spectateur, d’y croire et de n’y pas croire : voir des personnages et voir en même temps au-delà de la simple histoire qu’ils peuvent vivre. À l’inverse de l’habituel rapport hypnotique et somnambulique entre personnage et spectateur, on demande à ce dernier de faire un petit pas en avant. Tout cela appartient à la modernité, à laquelle je reste attaché, et qui est aujourd’hui évacuée au profit des modes et du commerce des images. Au cinéma, la modernité a consisté à produire le sens non pas à partir d’un présupposé idéologique ou philosophique ou moral, qui se trouverait pleinement dans le scénario, mais de produire ce sens au moment du filmage, c’est-à-dire par le regard du réalisateur sur le monde, les choses et les gens qu’il filme, cela au travers d’un style qui lui est propre. Il existe une autre définition de la modernité, applicable à toutes les formes d’art et empruntée à Octavio Paz : c’est l’idée que l’œuvre moderne contient à l’intérieur d’elle-même la critique du moyen d’expression utilisé.
(Entretien entre Bernard Comment et Alain Tanner, Dossier de presse du film, 1995 – Sources: Alain Tanner-John Berger, Tome 23, Coll. Théâtres au Cinéma, Bobigny 2011)
Fiche technique
Fiche technique
Titre: Fourbi
Année: 1995
Genre: Fiction
Scénario: Bernard Comment, Alain Tanner
Réalisation: Alain Tanner
Assistant réalisation: Pascal Magnin, Sandrine Normand, Ursula Meier
Photographie: Denis Jutzeler, Jacques Monge (steadicam)
Assistant photo: Alexandre Monnier
Son: Henri Maïkoff, Pascal Després (assist.) Mixage: Alain Garnier
Musique: Michel Wintsch
Décors: Yvan Niclass, Vincent Stadelmann (assist.)
Maquillage: Nathalie Tanner
Costumes: Catherine Brönnimann
Montage: Monica Goux, Frédéric Berney (assist.), Jean-Marc Fröhle (assist.)
Script:
Photos sur pl.: Philippe Antonello
Technique :
Production: Alain Tanner, Frédérique Dumas (prod. ass.), Marc Baschet (prod. ass.), Michel Mavros (prod.ass.), Filmograph SA Genève, Noé Productions (FR), TSR Genève, Suissimage Zurich
Dir. de prod.: Gérard Ruey (prod. ex.)
Ass. de prod.: Florence Guizis, Hélène Platel (admin.)
Régie: François Baumberger, Jean-Pierre Alvarez (assist.), Jean-Marc Moutout (assist.), Jacques Post (assist.)
Distribution: Frénétic Films, Haut et court
Format: 110 min. 35 mm (16 mm + blow-up) coul.
Tournage: juillet/août 1995, Genève
Sortie: février 1996 (Lausanne), février 1996 (Genève), février 1996 (TSR), mars 1996 (Berne « Movie 2 »), mars 1996 (Zurich « Nord-Süd »), septembre 1996 (Paris)
Prix:
Festivals: Cannes (Un Certain Regard, Marché) 1996, Locarno (Festival del film Locarno – Perspectives suisses) 1996, Hambourg 1996, Huelva 1996, Montréal 1996, Osaka 1996, Bruxelles 1997, Montevideo (en compétition) 1997, Strasbourg (Forum du cinéma européen) 1997
Droits mondiaux:
Version originale:
DVD:
(Sources: Cinémélanges – Swissfilms – Ingrid Telley – « Histoire du cinéma suisse de 1962 à 2000 » sous la direction d’Hervé Dumont et de Maria Tortajada – Editions Cinémathèque Suisse et Gilles Attinger – 2007)
Générique artistique
Interprètes: | |||
Rosemonde | Karin Viard | ||
Paul | Jean-Quentin Châtelain | ||
Marie | Céline Tanner | ||
Pierrot | Antoine Basler | ||
Kevin | Robert Bouvier | ||
Le sponsor | Jed Curtis | ||
Le père de Paul | Maurice Aufair | ||
La mère de Paul | Michèle Gleizer | ||
Le professeur de théâtre | André Steiger | ||
Patron de bistrot 1 | Claude Thébert | ||
Patron de bistrot 2 | Jacques Michel | ||
Le garagiste | Teco Celio | ||
Le chasseur | Frédéric Polier | ||
Le producteur | Jacques Roman | ||
L’homme ivre | Jean-Marc Morel | ||
Le dragueur | Thierry Jorand | ||
L’huissier | Pierre Maulini | ||
La vendeuse | Ariane Moret | ||
Le client de café | Jacques Probst | ||
L’ami de Pierrot | Valentin Rossier | ||
Comédienne 1 | Nathalie Jeannet | ||
Comédienne 2 | Jocelyne Maillard | ||
Comédienne 3 | Emmanuelle Ricci | ||
Comédien | François Florey | ||
Fourbi | Sami | ||
Jean-Luc Bideau | |||
Jacques Denis |
(Sources: Ingrid Telley – « Histoire du cinéma suisse de 1962 à 2000 » sous la direction d’Hervé Dumont et de Maria Tortajada – Editions Cinémathèque Suisse et Gilles Attinger – 2007)