Michel Wintsch

Notes et mots

Propos croisés entre un musicien et un cinéaste

par Dominique Bax

Michel Wintsch, pianiste compositeur travaille pour le cinéma, pour la radio, la télévision et le théâtre. Il a composé la musique des cinq derniers films d’Alain Tanner.

« Ce que nous jouons, c’est la vie », de Louis Armstrong

Michel Wintsch, pianiste et compositeur, travaille pour le cinéma, pour la radio, la télévision et le théâtre. Il a mis en musique des textes de Marguerite Yourcenar et composé l’opéra « Ma Barker ». Son expérience de la scène a débuté avec le groupe rock Monkey’s Touch, qui a tourné durant les années quatre-vingt. Elle se poursuit avec les musiques d’improvisation qu’il expérimente avec le concours de nombreux musiciens suisses et étrangers. Il forme actuellement un trio avec le batteur et compositeur américain Gerry Hemingway et le contrebassiste suisse Bänz Oester. Il a composé la musique de cinq films d’Alain Tanner : La Femme de Rose Hill, Fourbi, Requiem, Jonas et Lila à demain, Paul s’en va.

La première composition

Michel Wintsch Ma première composition, j’ai dû la faire – je ne me souviens plus vraiment – à quatre ans, avec des légos. J’adorais les légos. C’était le début de la démarche artistique et, depuis, je ne me suis jamais arrêté… J’ai suivi des cours de piano classique, qui n’étaient pas terribles par ailleurs. Alors j’improvisais pour moi, ne sachant pas vraiment que j’improvisais. Mais très tôt, j’ai utilisé l’instrument pour moi, vu que je n’étais pas très bon dans ces cours. J’arrivais en retard, je n’avais pas fait mes devoirs. La musique est vite devenue un moyen d’expression plutôt qu’un moyen de s’intégrer dans une école au sens large du terme. Je n’ai jamais fait une école de composition ou une vraie école de musique – si ce n’est la maturité artistique. Les chansons m’ont aidé à concevoir la composition en termes de projet, à vouloir obtenir un résultat. Il y avait une velléité d’aller sur scène avec quelque chose de personnel. Je n’ai jamais été interprète : même les standards, je les jouais à  ma manière. A partir de vingt ans, j’ai commencé à monter des groupes et à laisser tomber la chanson. Je me suis rendu compte que ce n’était pas mon truc et j’ai fait beaucoup de rock, avec Monkey’s Touch. Vers 25 ans, j’ai fait du jazz et, à trente ans, j’ai sorti cette trilogie dans laquelle j’ai pu pleinement exprimer ma volonté de composer.

La découverte du jazz

Alain Tanner J’avais seize ans en 1946, lorsque le jazz débarqua en Europe, immédiatement après la guerre. Les premières émissions de jazz à la radio créèrent un véritable scandale. Le jazz étaient à la fois inouï, complètement nouveau pour les oreilles, et marquait une rupture profonde avec les traditions et habitudes musicales de notre société. Pour moi, ce fut aussi le premier contact avec le monde de l’expression artistique et les premières émotions qui lui étaient liées. En même temps, le jazz des origines nous fit découvrir un pan de l’histoire américaine, les champs de coton, l’esclavage et la traite des Noirs. Et, par voie de conséquence, l’injustice incroyable que cela représentait. Mon esprit fut très marqué par ce morceau d’histoire. En 1947, Louis Armstrong et Duke Ellington, nos dieux d’alors, arrivaient à Nice pour un festival, la première apparition de musiciens de jazz en Europe depuis la fin de la guerre. Mon frère et moi nous sommes précipités là-bas, toutes affaires cessantes. J’ai un petit titre de glaire : j’ai rencontré Louis Armstrong et, comme il ne parlait pas un mot de français, je l’ai accompagné dans les rues de Nice pour faire du shopping avec lui. J’ai passé l’été suivant à Paris en circulant entre le Liorientais et le Club Saint-Germain.

La musique de film est un métier

M.W Pour moi, la musique de film est un métier. Dans ce cas, je me mets au service de quelqu’un et me considère plus comme un artisan qui met un savoir-faire et une sensibilité à disposition de quelqu’un. Ce n’est pas dans la musique de film, et rarement dans la musique de théâtre, que je peux créer des choses et aller où je veux. Il y a beaucoup de contraintes. Avec les textes, c’est encore différent parce que, le  plus souvent, c’est moi qui les choisis. Je les lis beaucoup, je les prends avec moi et je les lis en marchant pour trouver des résonances et des idées, dégager un sens qui me convienne. Et ensuite je me lance, avec mes fantasmes musicaux du moment. Le processus est très variable. Au départ, le texte me donne envie de dire quelque chose, et ensuite, il y a les auditeurs et les destinataires. Je sais de plus en plus à qui je m’adresse. Il y a toujours un auditeur idéal. Avec le projet de Yourcenar, je m’adressais un peu au monde de la musique contemporaine : je voulais faire une œuvre qui aille dans ce sens classique du terme et me prouver que j’en étais capable. Mais aujourd’hui, je ne pense plus du tout ma musique comme cela. Mon auditeur d’aujourd’hui est toujours idéal, mais peu importe qu’il écoute de la musique contemporaine, du rock ou du jazz – il est avant tout un être humain. Du coup, je crois que j’ai fait des progrès.

La tonalité

A.T Avant le film, je connais la tonalité et nous écoutons beaucoup de musique proche de ce que je souhaite. Je leur demande ensuite de composer des morceaux de une, deux ou trois minutes, sans véritable début ni fin, toujours pour des cordes avec parfois un piano. Nous faisons des petites maquettes, nous en discutons, et ils se mettent au travail. Pendant le tournage des films, j’ai toujours la musique avec moi. Je ne l’écoute pas sur le plateau mais le soir, dans la solitude de ma chambre d’hôtel. La musque ne doit pas nécessairement inspirer la scène du lendemain, mais j’aime bien l’entendre courir dans ma tête et la mettre déjà en place pour le montage futur. Elle servira ensuite à articuler certaines scènes, à contredire même ce qu’on voit sur l’écran, à prolonger, pas à souligner, une émotion, ou encore, lorsqu’elle est placée sous la parole, à obliger le spectateur à tendre l’oreille pour mieux écouter ce que disent les personnages.

Mettre la musique en forme

M.W Le travail avec Tanner a ceci de particulier que la musique est créée avant le tournage, alors que le plus souvent, le musicien intervient sur les images, travaillant pendant ou après le montage. Il faut alors travailler en synchronisation, écrire, composer, voire improviser sur les scènes, respectant durée, action, dialogue.

Avec Alain, c’est différent. Nous nous voyons avant le tournage, je prends connaissance du scénario, nous parlons du film, des différentes ambiances qui lui seront utiles, et Alain me transmet ses désirs musicaux : par exemple, il me fait écouter des musiques existantes qui s’approchent de ce qu’il imagine.

Je fais alors des maquettes. Nous les écoutons, les travaillons et, lorsque nous sentons que c’est la bonne piste, je convoque musicien, ingénieur, studio, et nous enregistrons. Nous faisons plusieurs interprétations de chaque morceau (plus vite, plus lent, plus dramatique, plus lisse, etc.), et Alain part avec cette musique sur le tournage.

Je crois qu’il l’écoute régulièrement et assez secrètement, pendant son travail.

Le film tourné, Alain monte le film en ayant déjà une très bonne connaissance de « sa » musique et fait fusionner l’image, la musique, le son et les dialogues. Le montage épouse donc la forme et le rythme de la musique choisie. Le résultat est souvent très naturel, organique.

C’est un vrai plaisir de travailler ainsi, libéré des contraintes de la synchronisation (qui est par ailleurs, dans d’autres contextes, très stimulante). La musique prend alors souvent un rôle plus poétique, elle participe organiquement à l’émotion, à la couleur d’une scène (elle est parfois même en contraste), plutôt que de souligner une action, un moment d’émotion ou un suspens. La musique, chez Tanner, n’est jamais remplissage. Elle ne comble pas les manques de l’image, n’amplifie pas le contenu d’une scène mais propose un commentaire, peut-être une humeur, un espace dicté par la sensibilité du réalisateur.

Il arrive par exemple assez régulièrement qu’une musique arrive pendant un dialogue et soit mixée fort, à la limite de la compréhension du texte, donnant réellement à la scène une couleur particulière (par exemple, si le dialogue exprime de la colère, la musique, elle, pourra être douce, calme, large, mettant en abîme la situation des personnages plutôt qu’en exergue).

Stylistiquement, les musiques sont de facture assez « classique ». Mélodie, harmonie, souvent des cordes, un peu de percussion. La musique participe ainsi au rythme profond et à l’unicité du film.

Troisième degré

A.T C’est dans Paul s’en va que je pense avoir fait le meilleur travail sur la musique, avec Michel Wintsch. Sa musique, je l’ai tissée avec les mots des citations. Notes et mots ensemble forment alors un troisième degré. C’est en quelque sorte une nouvelle musique qui permet d’écouter différemment et de mieux aller vers le sens.

(Textes entrecroisés par Dominique Bax, février 2011 – Sources : « Alain Tanner-John Berger », Tome 23, Coll. Théâtres au Cinéma, Bobigny 2011
Extraits de : Alain Tanner, « Ciné-mélanges », 2007, Éd. Du Seuil / Michel Wintsch, « Propos sur la composition », Recueillis par Christian Steulet, septembre 1998 / Texte de Michel Wintsch sur son trvail avec Alain Tanner
Michel Wintsch Sextet, « Autour de Bartok » / Michel Wintsch / Martin Schütz / Gerry Hemingway / Michel Wintsch, « Waamat »)

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